Compositrice en résidence à la Cité musicale Metz

Propos recueillis par Camille Villanove en janvier 2020

 

Photo: ©Manu-Theobald

Après Edith Canat de Chizy, Joëlle Léandre, Alexandros Markéas, Clara Iannotta est compositrice en résidence à l’Arsenal de Metz*, désormais inclus dans la Cité musicale Metz. « Donner les clés, mais aussi expérimenter notre rapport aux sons, à la musique et comment le partager est un défi permanent pour les structures comme les nôtres. En cela avoir une compositrice comme Clara Iannotta est une chance de creuser de nouvelles pistes » déclare la directrice artistique de l’Arsenal, Michèle Paradon. Quelles sont ces pistes innovantes ? Quel est l’enjeu d’une telle résidence pour une compositrice ? Pour le Mag’, Camille Villanove a tendu son micro à Clara Iannotta.

 

 Quel est votre cahier des charges pour cette résidence ?

La collaboration se déploie à travers deux axes : les concerts et l’action culturelle. Au cours des saisons 19/20 et 20/21**, je présenterai au public plusieurs de mes œuvres et en composerai une nouvelle pour l’Orchestre national de Metz. 

Nous avons tenu à ce que cette résidence soit aussi l’occasion de rencontres fortes avec les jeunes. Fabriquer des instruments est au cœur de mon travail, aussi vais-je animer un atelier de création d’instruments dans un lycée. Avec les étudiants et étudiantes en composition du Conservatoire de Metz, nous créerons une pièce destinée à ces objets sonores.  

 Qu’attendez-vous de ces deux années de résidence ? 

Avant la création en 2021 avec l’Orchestre national de Metz et son directeur musical et artistique David Reiland, je ferai essayer des fragments aux musiciens et musiciennes, j’en parlerai avec eux lors de deux sessions de travail séparées de plusieurs semaines. Cela me permettra d’entendre comment sonnent mes idées, d’ajuster ma partition. Cette possibilité de travailler avec l’orchestre pendant que j’écris la pièce est très intéressante. Je considère cela comme un privilège car cette opportunité se présente rarement dans une carrière.

Composer, c’est la seule chose qui m’aide à vivre, à me connaître, à comprendre le monde, ses changements.

Composer : une vocation ? une nécessité ? une mission politique ?

Je ne pense pas que la musique contemporaine actuellement puisse avoir un impact sur le monde. J’espère que cela va changer. Composer, c’est la seule chose qui m’aide à vivre, à me connaître, à comprendre le monde, ses changements. Je me suis demandé quel métier je ferais si je n’étais pas compositrice. Je n’ai rien trouvé, alors je continue !

Comment résonne en vous cette pensée de la compositrice Cécile Chaminade (1857-1944) : « Il y a quelque chose à propos de son art à soi, de son œuvre, à propos des chagrins et des joies qui viennent d’une vie vouée à l’art, qu’aucune autre forme de vie ne peut approcher » ?

Composer m’apporte la joie de la découverte. Je n’ai pas vraiment eu d’enfance, j’ai peu joué, mes parents étaient autoritaires et tout tournait autour du travail. J’ai développé une façon d’échapper à ces devoirs à travers la créativité. Produire un concept musical est un jeu pour moi. J’adore ce travail qui précède l’écriture. Mais dès que je commence à composer, contrairement à Cécile Chaminade, je souffre parce que j’entre en introspection. 

Ecrivez la musique que vous avez envie d’écouter

Vous enseignez à Impuls, à Darmstadt : quels conseils donnez-vous aux jeunes compositrices que vous rencontrez ?

« N’écoutez pas ce que les gens disent de vous, méfiez-vous des modes, cultivez votre indépendance. Ecrivez la musique que vous avez envie d’écouter, pour vous-mêmes, pas pour le public – même si bien entendu, on espère qu’il appréciera la pièce. » 

A vrai dire, c’est surtout aux institutions qu’il faudrait donner des conseils ! Ce que j’ai fait, récemment, lors d’un forum international*** en dénonçant comment le sexisme inhibe l’ambition des femmes à mener une carrière de compositrice.

Conservatoires, festivals, concours, orchestres : quelle évolution espérez-vous dans ces institutions qui font vivre la création ?

Il faudrait nommer beaucoup plus de femmes à leur tête. Il suffit de regarder la programmation des festivals internationaux pour remarquer qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour modifier la situation. Nous les femmes, on nous demande de parler de ce problème. Mais c’est aux hommes qu’il faut demander : que faites-vous pour changer cela ?

Au-delà de la représentation des femmes, la communauté de la musique contemporaine doit s’ouvrir à la diversité. Les directions artistiques doivent être collégiales et représentatives de la diversité (sexe, couleur de peau, origines culturelles, sociales). Aujourd’hui pour devenir compositeur, compositrice, il faut être bardé de diplômes. Qui peut s’offrir de telles études ? Il faut ouvrir aux autres genres de musique aussi. Analysez certains albums de musique pop, qui sont d’ailleurs des réalisations collectives : ils sont d’un niveau musical fantastique !

Nous les femmes, on nous demande de parler de ce problème. Mais c’est aux hommes qu’il faut demander : que faites-vous pour changer cela ?

©Astrid Ackermann

Une femme qui a compté dans votre parcours ?

Elles sont quatre : 

  • Josephine Markovits, directrice du Festival d’Automne à Paris. En 2012, elle a changé ma vie en me commandant une pièce créée par l’Ensemble intercontemporain. Quelle vitrine pour l’étudiante que j’étais !
  • La compositrice Chaya Czernowin mon professeur à Harvard. 
  • Dorothy Molloy poète irlandaise décédée en 2004. Depuis 2013, les titres de mes œuvres viennent tous de ses écrits. 
  • Enfin, Christine Sum Kim, une artiste sonore américaine sourde de naissance qui vit à Berlin, comme moi. Elle interroge l’acte d’écouter.

 

* Résidence soutenue par la Sacem

** Calendrier détaillé de la résidence sur le site internet de la Cité musicale Metz

***« Statement » rédigé par Clara Iannotta pour le forum 50:50 en 2030 : Women in Music Related Professions au Festival Wien Modern 2019

 

Pour aller plus loin

Auteur
Camille Villanove