Savoir écrire une pièce pour orchestre sans jamais l’entendre en vrai est un des écueils rencontrés par les jeunes compositeurs et compositrices. C’est le défi qu’a voulu relever l’Orchestre national d’Île-de-France en créant en 2013 le concours Île de créations. Pour la 8e année, parmi les candidats et candidates qui tentent leur chance, issus des cursus européens, trois ont été sélectionnés pour la finale publique :  ils participeront à la création de leur œuvre dans des conditions professionnelles au Centre culturel des Bords de Marne (94), au cours du 2e semestre 2020

Episode 1 : Entretien avec Fabienne Voisin, Directrice de l’Orchestre national d’Île-de-France qui organise le concours Île de créations

Propos recueillis par Camille Villanove en mars 2020

Photo: ©Jean-Baptiste Millot

Directrice de l’Orchestre national d’Île-de-France, Fabienne Voisin entretient avec les compositeurs et les compositrices une relation pleine d’enthousiasme. En 2013, le directeur artistique de l’Orchestre, Enrique Mazzola, lui propose d’engager l’orchestre dans un concours de composition. Elle fonce ! Île de créations est né.  La première lauréate sera une femme, Christina Athinodorou. Huit éditions plus tard, le concours est devenu un tremplin international pour les jeunes créateurs et créatrices intéressés par l’orchestre. Pour preuve l’ascension de Camille Pépin depuis sa victoire en 2015. Pourtant, cette édition encore, les femmes sont en minorité. Comment s’explique cet écart ? Comment y remédier ? Pour y répondre, nous avons rendu visite à Fabienne Voisin.

Quel est l’objectif du concours Île de créations ?

Il est multiple : 

– Permettre aux jeunes compositeurs et compositrices de se frotter à l’écriture symphonique et de pouvoir être joués en public, ce qui n’est pas courant dans leur cursus. Avant la remise des partitions définitives, les finalistes bénéficient d’une master-class avec le compositeur Guillaume Connesson, parrain du concours. Ensemble, elle et ils questionnent la façon d’utiliser les timbres, corrigent d’éventuelles erreurs de jeunesse (une tessiture inadaptée à tel instrument par exemple). 

– Proposer au public francilien de découvrir la pépinière de la création musicale formée en Europe.

– Impliquer l’orchestre dans la machinerie de la composition. Certains musicien·nes sont de formidables conseillers et conseillères auprès des candidat·es. 

 

Suivez-vous les lauréats et lauréates des éditions précédentes ? Que devient l’œuvre primée après la finale ?  

Certaines pièces ont été reprises par d’autres orchestres dans le monde : celle d’Alex Nante (2016), Vajrayana de Camille Pépin (2015), celle du lauréat 2019, Joel Jarvantausta : ce sont de belles réussites.

Afin d’offrir un rayonnement plus grand encore, quatre orchestres s’engagent cette année à programmer la pièce lauréate : l’Orchestre de Chambre de Nouvelle Aquitaine, de Pau-Pays de Béarn, de Bretagne et de l’Opéra de Toulon. 

En élaborant le thème de cette édition, nous avons pensé à une forme concertante : ainsi les candidats et candidates doivent écrire une ouverture concertante de dix minutes pour violoncelle. Le prétexte était aussi d’impliquer Victor Julien-Laferrière, artiste en résidence à l’Orchestre. Nous avons proposé au réseau des orchestres d’accueillir l’œuvre lauréate dans leur saison comme complément d’un concerto pour violoncelle. 

Ne serait-ce que sur les quatre dernières éditions, effectivement, seules 9 % des candidatures sont féminines.

Vous constatez un important écart entre le nombre de candidats et de candidates. Comment s’explique-t-il selon vous ?

Ne serait-ce que sur les quatre dernières éditions, effectivement, seules 9 % des candidatures sont féminines. Je pense que cela tient à un manque de modèle. Dès lors qu’en tant que femme, il n’y a pas de modèle qui nous inspire, il est plus difficile de se projeter, donc de suivre l’inflexion d’aller vers un métier. En tant que professionnel·les, nous avons à faire émerger ces modèles de façon à insuffler aux femmes la liberté et la possibilité de s’accomplir comme compositrices, mais aussi comme cheffes et instrumentistes.

 

En tant que professionnel·les, nous avons à faire émerger ces modèles

Vous citiez Camille Pépin, lauréate en 2015.  5 ans plus tard, a 29 ans, elle remporte les victoires de la musique. Elle confiait dans un entretien : « je suis en quelque sorte devenue officiellement compositrice à partir du prix Île de créations ». Pensez-vous qu’elle constitue déjà un modèle pour les jeunes compositrices ?

Assurément. Les étudiantes se disent : « puisqu’une jeune femme comme Camille y arrive, je peux m’engager dans une carrière de compositrice ». Camille a reçu à la fois le prix du jury et du public en 2015. Humainement, à l’orchestre, nous avons tout de suite apprécié sa bienveillance, son goût de la rencontre et sa gourmandise altruiste et ouverte. Je me réjouis de l’évolution que prend sa carrière. C’est la vocation de ce concours : mettre en évidence les talents actuels de la composition.

 

 « puisqu’une jeune femme comme Camille y arrive, je peux m’engager dans une carrière de compositrice »

La première fois que vous avez écouté une œuvre d’une compositrice ?

C’était dans les années 1990. Le pianiste Emile Naoumoff qui a connu les sœurs Boulanger m’a fait découvrir leur musique. J’ai été saisie par les compositions torturées de Lili (1893-1918). C’est là que j’ai commencé à me demander : « comment se fait-il qu’il y ait si peu de compositrices ? » 

 

En quoi cette prise de conscience oriente-t-elle votre action de directrice d’un orchestre national ? 

Petit à petit, ce questionnement s’est cogné à la réalité. A travers mes engagements à la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France, à la présidence des Forces musicales, j’ai cherché et cherche encore à répondre collectivement. Responsables d’orchestres, d’ensembles, de lieux de diffusion, nous avons notre part à jouer, notamment en permettant au public de découvrir les compositrices de notre temps. Il est bon de permettre l’équité hommes/femmes. C’est à nous programmateurs et programmatrices d’assumer nos responsabilités.

 

Il est bon de permettre l’équité hommes/femmes. C’est à nous programmateurs et programmatrices d’assumer nos responsabilités.

De quoi ont besoin les orchestres pour programmer davantage de musique composée par des femmes ?

Que les œuvres des compositrices soient répertoriées, toutes périodes confondues. Un programmateur, une programmatrice a besoin d’équilibrer sa saison, de donner un sens à chaque concert. La base de ressources mise en ligne par Présence Compositrices marque un premier pas salutaire pour l’avenir. Pouvoir puiser dans tel ou tel siècle pour faire écho à telle œuvre du répertoire sera d’un grand secours.

 

Quels conseils donneriez-vous à une jeune compositrice ?

Osez, écrivez, proposez vos œuvres aux orchestres !

 

Une femme qui vous a marquée ?

La philosophe Simone Weil (1909-1943). Parce qu’elle a su casser les barrières qui s’imposaient à la gent féminine, à l’époque. D’ailleurs, il y a dix ans, l’Orchestre a commandé à la compositrice Florentine Mulsant une œuvre sur cette figure du XXe siècle

Jeune, une autre femme m’a impressionnée : la botaniste Jeanne Baré (1740-1807). Au XVIIIe siècle, les femmes n’avaient pas droit d’être herboristes. Déguisée en homme, elle s’est enrôlée dans l’expédition Bougainville afin de récolter des plantes pour Louis XV. Réelle aventurière, elle est l’une des nombreuses ignorées de l’Histoire.

Pour aller plus loin

Prochainement sur Le Mag

Episode 2 : Maria del Pilar Miralles Castillo, une jeune compositrice espagnole en Finale

Enquête : Composer pour orchestre ? Un défi pour les jeunes compositrices

 

[…] En Espagne, dans les classes d’instrument, dans les concerts, professeurs, programmateurs, programmatrices imposent le même répertoire depuis cinquante ans. Ils n’acceptent pas de créer de nouvelles œuvres, encore moins celles des jeunes.

Auteur
Camille Villanove