Propos recueillis par Aliette de Laleu le 3 avril 2020

Dans son dernier disque, Juliette Hurel enregistre avec la pianiste Hélène Couvert les œuvres de cinq compositrices françaises du début du 20e siècle. Rencontre avec une flûtiste qui n’en a pas fini de faire de belles découvertes…

Photo: © Jean-Baptiste Millot

Mel Bonis, Lili Boulanger, Cécile Chaminade, Clémence de Grandval, Augusta Holmès… Dans le dernier disque de la flûtiste Juliette Hurel et de la pianiste Hélène Couvert, les compositrices françaises sont à l’honneur. Toutes les cinq ont vécu à la même période, à cheval entre le 19e et le 20e siècle, et toutes ont composé des œuvres pour flûte restées dans l’oubli. Avec cet enregistrement, Juliette Hurel souhaite inciter les flûtistes à s’emparer de ces œuvres et qui sait, inscrire ces pièces à leur répertoire.

Présences féminines : Avec vos précédents enregistrements (Bach, Mozart…), on ne pouvait pas imaginer un disque entièrement consacré aux compositrices, pourquoi ce choix ?

Juliette Hurel : La première chose, c’est une envie de retourner à la flûte moderne, celle que je joue le plus souvent. Et puis je n’avais pas enregistré avec Hélène Couvert depuis longtemps, or on avait déjà fait cinq albums ensemble… En concert, on jouait régulièrement la sonate de Mel Bonis, on a donc commencé à réfléchir à ce que l’on pouvait faire autour de cette compositrice. Au début d’ailleurs on souhaitait faire un disque uniquement d’œuvres de Mel Bonis, mais j’ai eu la chance de rencontrer Claire Bodin [directrice du festival Présences féminines] qui m’a présenté d’autres œuvres pour flûte de compositrices.

Jusqu’alors vous ne connaissiez pas d’autres œuvres de compositrices ?

Je connaissais une des pièces de Lili Boulanger, la pièce de Cécile Chaminade, mais par exemple je n’avais jamais entendu parler de Clémence de Grandval et Augusta Holmès…Et j’avais honte de ne pas connaître tout ça ! Je me suis dit que ce n’était pas possible de passer à côté… Il faut vraiment rester éveillé, toujours chercher du répertoire, car les découvertes sont tellement excitantes !

 

Et j’avais honte de ne pas connaître tout ça ! Je me suis dit que ce n’était pas possible de passer à côté…

Et pendant vos études, vous n’avez pas croisé le chemin des compositrices ?

Si, j’avais travaillé des œuvres de Betsy Jolas et de Michèle Reverdy. Et puis, il y a quelques années , on m’a demandé de faire un concert avec des compositrices. Je m’étais vraiment creusé la tête à l’époque… J’ai joué la sonate de Mel Bonis, la pièce de Chaminade et le matin de printemps de Lili Boulanger. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je n’avais pas d’outils pour chercher toutes ces œuvres…

A partir du moment où vous avez décidé d’enregistrer les cinq compositrices de votre dernier album, avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Non, ce n’était pas vraiment difficile. Presque toutes les partitions sont éditées, j’ai trouvé celle de la suite de Grandval sur le site internet IMSLP. C’est grâce à Claire Bodin que j’ai appris l’existence de cette oeuvre. Et entre temps, les éditions Robert Martin m’ont contactée et j’ai proposé d’éditer cette suite de Grandval. Nous allons aussi éditer les deux pièces de Boulanger car elles sont toujours écrites pour violon/flûte, or le Nocturne, notamment, est d’abord une oeuvre écrite pour flûte mais jouée par les violonistes, il faut que les flûtistes s’en emparent maintenant.

 

C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je n’avais pas d’outils pour chercher toutes ces œuvres…

Au niveau de l’approche artistique, avez-vous rencontré des particularités ou même des difficultés par rapport à vos précédents enregistrements ?

Pas particulièrement, c’était surtout intéressant de découvrir un magnifique répertoire jamais joué ! Par exemple la suite de Grandval dure vingt minutes, c’est un gros morceau, il y a une partie de piano très virtuose, du côté de la flûte aussi, et je me souviens m’être dit : Comment est-ce possible qu’une œuvre aussi majeure, si intéressante et profonde, soit inconnue des flûtistes et qu’elle ne soit pas au répertoire ? J’espère que ce disque aidera à la faire connaître, et à la faire jouer des flûtistes parce qu’elle a tout à fait sa place dans notre répertoire.

Peut-être parce que c’est une compositrice qui l’a écrite…

Je ne suis pas assez renseignée pour avoir la réponse à cette question. Je vois bien que ces compositrices ont des destins très différents mais certaines étaient très connues à l’époque, comme Augusta Holmès. Pourquoi l’est-elle moins aujourd’hui ? Je ne sais pas. Mais c’est surtout Grandval qui m’intrigue et j’espère qu’elle sera plus connue à l’avenir.

Comment est-ce possible qu’une œuvre aussi majeure, si intéressante et profonde, soit inconnue des flûtistes et qu’elle ne soit pas au répertoire ?

Vous sentez-vous investie d’une mission en ressortant ces œuvres de compositrices oubliées ?

Le plus important pour moi ce n’est pas qu’elles soient compositrices mais que ce soit des bonnes œuvres, peu jouées. Après, oui, cela me plaît de découvrir ces œuvres et que ce soit des femmes, c’est un plus, mais je ne vais pas, à partir d’aujourd’hui, me dire que je veux défendre uniquement des pièces écrites par des femmes, ce n’est pas l’objectif.

Mais c’est peut-être quelque chose qui pourrait ressortir pour de futurs projets de mettre en avant les compositrices ?

Oui, je suis déjà en train de penser à un futur disque avec une commande de concerto, en restant dans le répertoire français, j’ai déjà quelques œuvres en tête, et je sais qu’il y a des compositrices actuelles qui sont très bien et qu’il faut que j’écoute. C’est vrai que ce serait bien de continuer dans cette voie-là.

 

Mais c’est surtout Grandval qui m’intrigue et j’espère qu’elle sera plus connue à l’avenir.

Cela promet de nouvelles découvertes et de nouvelles rencontres aussi.

C’est aussi ce que je trouve très inspirant et excitant dans cette histoire. Par exemple je suis en relation avec l’arrière-petite fille de Mel Bonis, Christine Géliot, c’est de l’or d’être en contact avec quelqu’un comme ça. Elle m’a écrit l’autre jour en réponse à une interview que j’ai donnée pour la radio belge et elle m’a transmis ces mots : quelle gloire ! Quelqu’un qui a du sang de Mel Bonis dans les veines et qui vous écrit que “votre sonate est topissime”, je ressens quelque chose de fort, forcément, c’est génial.

Par exemple je suis en relation avec l’arrière-petite fille de Mel Bonis, Christine Géliot, c’est de l’or d’être en contact avec quelqu’un comme ça.

Pour aller plus loin

Compositrices à l’aube du XXe siècle – Juliette Hurel et Hélène Couvert
Label : Alpha
Sortie : janvier 2020

Auteur
Aliette de Laleu