Savoir écrire une pièce pour orchestre sans jamais l’entendre en vrai est un des écueils rencontrés par les jeunes compositeurs et compositrices. C’est le défi qu’a voulu relever l’Orchestre national d’Île-de-France en créant en 2013 le concours Île de créations. Pour la 8e année, parmi les candidats et candidates qui tentent leur chance, issus des cursus européens, trois ont été sélectionnés pour la finale publique :  ils participeront à la création de leur œuvre dans des conditions professionnelles au Centre culturel des Bords de Marne (94), au cours de la saison 2020-2021*.

Camille Villanove a mené l’enquête afin de cerner l’opportunité que représente ce concours dans le paysage de la musique contemporaine.

 

 

Episode 3 : Le point de vue d’une ancienne lauréate, Camille Pépin

Propos recueillis par Claire Bodin en 2018** et Camille Villanove en avril 2020

Photo: ©Olivier Lievin

« J’adore mêler les timbres, rechercher toujours la couleur la plus adéquate à l’expression de mon univers intérieur » déclarait Camille Pépin sur les ondes de France musique, peu de temps après avoir été élue compositrice de l’année aux Victoires de la Musique Classique, en février 2020. Fulgurante trajectoire pour celle qui six ans auparavant adressait en candidate anonyme sa première composition symphonique de grande envergure au jury du concours Île de créations. Alors étudiante, elle préférait se former en écriture et en orchestration plutôt qu’entrer en classe de composition. Déjà, primaient dans la musique de Camille Pépin cette sincérité et ce rapport multisensoriel à la création qui définissent son identité artistique. 

Quel impact son succès au concours de l’Orchestre national d’Île-de-de-France a-t-il eu sur cette période délicate pour les jeunes compositeurs et compositrices qu’est l’insertion professionnelle ? Comment Camille Pépin assume-t-elle l’aura suscitée par son œuvre et sa personnalité, rare chez une compositrice trentenaire ?

Pour le Mag Camille Pépin s’est confiée à Camille Villanove.

En quoi être lauréate du concours Île de créations a été déterminant dans le lancement de votre carrière ?

Je suis, en quelque sorte, devenue officiellement compositrice à la suite de ce Prix. C’est là que le public, mais aussi le monde de la musique ont su que j’écrivais. Quelques mois plus tard, la pièce composée pour Île de créations, Vajrayana, a obtenu le Grand Prix Sacem de la musique symphonique dans la catégorie jeune compositeur/compositrice.

Par ailleurs, ma première collaboration avec des interprètes est née de ce concours : dans l’orchestre qui participait à la Finale, une musicienne m’a commandé une pièce pour son ensemble, Polygones. Puis cette collaboration en a entraîné une seconde. Tout vient de ce concours de l’Orchestre national d’Île-de-France.

L’une des récompenses de ce Prix est l’édition de la partition chez Durand. Voir son nom figurer aux côtés de Debussy ou Messiaen au catalogue, qu’est-ce que cela change ?

Vous n’imaginez pas l’émotion que représente le fait d’avoir entre les mains sa première partition imprimée ! J’ai éprouvé une sensation très particulière, presque de l’incrédulité à lire mon nom sur la couverture, et à me dire que, oui, j’avais écrit cette œuvre. Ça la rendait réelle en quelque sorte.

Sur le plan musical, quels fruits avez-vous tirés cette expérience ?

Quand j’ai appris que ma partition était sélectionnée en finale, je me suis dit que j’avais déjà gagné, car il me serait donné d’entendre ma pièce et de travailler avec un orchestre. C’est le seul concours en France dans lequel est offerte cette opportunité aux compositeurs et compositrices. Cette expérience a été très formatrice.

Et vous, quels seraient vos critères si vous deviez évaluer la pièce pour orchestre d’un∙e jeune compositeur ou compositrice?

Je choisirais non seulement l’œuvre qui me touche le plus, qui fait preuve de la plus grande inventivité orchestration mais aussi celle qui est la mieux écrite pour les musiciens et musiciennes. J’ai à cœur de soigner les différentes parties que j’écris pour chaque pupitre. D’ailleurs en 2015, apprendre que l’orchestre avait voté pour ma pièce*** à l’issue de la finale m’a encouragée. 

Une parole reçue lors de ce concours vous a-t-elle marquée ? 

Oui, les mots de Natacha Colmez-Collard, violoncelliste de l’Orchestre national d’Île-de-France.  Après la première répétition, avec un grand sourire elle m’est venue me dire qu’elle adorait ma pièce et avait ressenti que ses collègues aussi. Avant de savoir que j’avais gagné, je repartais avec un magnifique compliment, une commande pour son ensemble de musique de chambre (l’ensemble Polygones) et une violoncelliste extraordinaire qui allait créer plusieurs de mes pièces par la suite.

Ce soutien de certains musiciens, est-ce un signe d’espoir sur la considération portée aux compositrices dans le milieu musical ?

Les interprètes de la jeune génération intègrent naturellement des œuvres de compositrices d’hier et d’aujourd’hui. Non pas parce que ce sont des femmes qui les ont écrites mais pour la musique en elle-même. Qu’on leur laisse la liberté de construire des programmes qu’ils ont à cœur de défendre, que ce soit si naturel de jouer à la fois de la musique contemporaine et des compositrices : je trouve ça très positif. Par ailleurs, je suis agacée d’entendre dire que je suis jouée parce que je suis une femme et parce que c’est à la mode de jouer des compositrices.

Les interprètes de la jeune génération intègrent naturellement des œuvres de compositrices d’hier et d’aujourd’hui dans leurs programmes.

En recevant les Victoires, vous avez dit : “C’est un métier difficile mais passionnant” : est-il plus difficile encore pour une femme ?

C’est un métier difficile pour les hommes comme pour les femmes : difficile de vivre uniquement de commandes, d’avoir un statut – j’ai souvent l’impression que l’on ne rentre dans aucune case. Difficile de toujours se renouveler, de toujours se dépasser. Difficile d’avoir des deadlines lorsque nous sommes dans un processus créatif  : comment savoir à l’avance combien de temps prend l’écriture d’une pièce ? Pourtant, il faut bien organiser son planning pour livrer les partitions à temps aux interprètes.

C’est un métier difficile pour les hommes comme pour les femmes. 

Recevoir les Victoires de la musique, qu’est-ce que cela change dans votre travail ? 

Rien ! Composer, c’est un besoin vital et pour ma part, c’est un véritable moyen d’expression. Ecrire de la musique est le vecteur le plus simple pour exprimer mon univers intérieur. Bien plus facile qu’avec des mots ! Avoir reçu cette récompense était surtout un moyen pour ma famille – non musicienne – de mieux comprendre ce que je fais. Et si cela peut m’aider à exercer ce métier pendant quelques années, c’est tant mieux !

Quelle est la première compositrice dont vous ayez entendu une œuvre ?

Mon premier souvenir marquant est Jennifer Higdon. J’ai découvert sa sublime Cathédrale Bleue en classe d’orchestration avec Guillaume Connesson. J’ai été éblouie par la matière sonore et orchestrale et c’est une pièce que j’écoute encore régulièrement. Cela a également été l’occasion d’écouter ses autres œuvres et je me souviens m’être dit que les Etats-Unis étaient décidément bien plus ouverts stylistiquement que la France !

Ecrire de la musique est le vecteur le plus simple pour exprimer mon univers intérieur.

Et aujourd’hui, quelle femme vous inspire ?

Je pense à de nombreuses interprètes qui me donnent envie d’écrire pour elles et dont la personnalité artistique me touche particulièrement. Je pense aussi à la musique de Lili Boulanger dont je ne me lasse jamais. Je me demande souvent comment elle faisait pour orchestrer si bien à son âge.

 

* En raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19, report du concours prévu au 15 avril 2021. Plus d’informations sur : www.orchestre-ile.com

** Camille Pépin, Entretiens, Editions La Nerthe, 2018. Publication du Festival Présences féminines.

*** Les membres de l’orchestre élisent leur œuvre favorite au cours de la finale. Leur voix compte parmi celle des membres du jury. 

Parcours

  • 1990 : Naissance à Amiens
  • 1998-2009 :  Etudes au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Amiens
  • 2011-2017 : Diplômée du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (Orchestration, Analyse, Harmonie, Contrepoint et Fugue & Formes). 
  • 2015 : Prix du jury et du public au concours Île de créations pour Vajrayana.
  • 2015 : Grand Prix Sacem Musique Symphonique catégorie “Jeune Compositeur “
  • 2017 : Prix d’Encouragement Musique décerné par l’Académie des Beaux-Arts
  • 2017 : Compositrice en résidence Festival Présences Féminines
  • 2018/2019 : Résidence à l’Orchestre de Picardie 
  • 2019 : Sortie de l’album Chamber Music (NoMadMusic)
  • 2019 : Vajrayana est chorégraphiée par Xin Pen Wang pour le Bayerisches Junior Ballett München
  • 2020/2021 : Résidence au Festival International de musique de Besançon

Actualités

  • Mars 2020 : Parution du disque The Sound of Tree chez NoMadMusic avec l’Orchestre de Picardie, sous la direction d’Arre van Beek (The Sound of Trees, double concerto pour clarinette et violoncelle et œuvres de Lili Boulanger et Claude Debussy orchestrées par Camille Pépin)
  • 25 juillet 2020 : création de Gris-brume au festival des Arcs par Yan Levionnois, violoncelle et Guillaume Bellom, piano.
  • Fin 2020 (à l’heure de l’édition de cet article, la date du concert est incertaine : informations sur lascala-paris.com) : Number 1, à La Scala (Paris) en partenariat avec le festival Présences féminines par Célia Oneto Bensaï, piano.

Pour aller plus loin

Lyrae pour quatuor à cordes, harpe, percussions ; Chamber Music pour mezzo-soprano, violon, violoncelle, cor, clarinette, piano ; Commande du Festival Présences féminines. Indra pour violon et piano ; Luna pour violon, violoncelle, clarinette, cor et piano ; Kono-Hana pour violoncelle. Avec Fiona McGown, mezzo-soprano ; Célia Oneto Bensaïd, piano ; Raphaëlle Moreau, violon ; Natacha Colmez-Collard, violoncelle ; Ensemble Polygones, direction Léo Margue

Prochainement sur le Mag

Episode 4 : Le point de vue de la violoncelliste solo de l’Orchestre national d’Île-de-France, Natacha Colmez-Collard

Composer pour orchestre ? Un défi pour les jeunes compositrices 

 

[…] J’ai plaisir à jouer des œuvres de femmes. Non parce qu’elles sont écrites par des femmes, mais parce qu’elles sont belles
et qu’elles sont très peu jouées.

Auteur
Camille Villanove