ENTRETIEN AVEC MARIANNE RIVIÈRE, VIOLONISTE ET PRÉSIDENTE DE L’ORCHESTRE PASDELOUP, POUR LA DEUXIÈME SORTIE DISCOGRAPHIQUE DU LABEL PRÉSENCE COMPOSITRICES

Propos recueillis par Théa Legrand en mai 2023

De la rencontre entre la plus vieille formation orchestrale française avec le label Présence Compositrices, éclot un disque sous le signe de l’éclectisme musical. Fruit de l’engagement pour la valorisation des compositrices, porté aussi bien par l’Orchestre Pasdeloup que par le label Présence Compositrices, ce disque est une véritable démonstration du champ des possibles de l’orchestre symphonique, couplé à la volonté de montrer au monde combien nombreuses et plurielles sont les propositions musicales des compositrices. Voyage initiatique à travers les époques, les genres et les rythmes, l’Orchestre Pasdeloup invite à élargir l’écoute et mobilise toutes nos émotions pour une expérience unique compilée dans ce disque.

Pour incarner les œuvres des compositrices Augusta Holmès, Germaine Tailleferre, Fanny Mendelssohn, mais aussi Bushra El-Turk, Camille Pépin, Edith Canat de Chizy et Anna Clyne, quatre cheffes d’orchestre ont été invitées : Kanako Abe, Sora Elisabeth Lee, Chloé Dufresne et Monika Wolińska et deux interprètes, Adelaïde Ferrière et Emilie Gastaud.

Le MAG est allé à la rencontre de Marianne Rivière, violoniste et Présidente de l’Orchestre Pasdeloup depuis 20 ans, qui a conçu et porté ce projet, original et nécessaire, afin d’en découvrir la genèse et la saveur.

Marianne Rivière ©Thomas Cardineau

En quelques mots, quelle est l’histoire de l’Orchestre Pasdeloup ?

L’Orchestre Pasdeloup existe depuis 1861. C’est le plus ancien orchestre toujours en activité. Jules Pasdeloup a eu l’idée géniale de créer un orchestre pour tous les publics, ce qui était en quelque sorte une vraie révolution. Les concerts étaient alors réservés aux cercles mondains et au public choisi de la Société des conservatoires. De fait, il n’y avait pas vraiment de public pour l’orchestre symphonique. Jules Pasdeloup a investi le Cirque d’Hiver, sur les grands boulevards, pour accueillir une foule nombreuse, jusqu’à 5000 personnes (à l’époque, les normes de sécurités étaient plus souples qu’actuellement !). Ce fut une formidable réussite. Des récits d’époque racontent qu’il y avait tellement de public que les gens devaient s’accrocher aux lustres pour pouvoir assister à un concert. Jules Pasdeloup a défendu des œuvres inimaginables alors : de Beethoven, Wagner… malgré les très fortes querelles avec la musique allemande dans ces années-là. Il défendait aussi beaucoup de créations. L’opéra Carmen lui a d’ailleurs été dédié.

Dans les années 1920, l’Orchestre retrouve une jeunesse avec le mécène Serge Sandberg. Il était directeur des cinémas et il a ressuscité l’Orchestre Pasdeloup avec beaucoup de concerts, et une nouvelle période marquée là encore par de très belles créations. Maurice Ravel a assisté plusieurs fois aux concerts. On raconte que Gershwin est venu à Paris et a rencontré Ravel à un concert de l’Orchestre Pasdeloup. L’orchestre a été le premier à créer les bandes-son de films puisque Sandberg était investi dans le cinéma. De plus, l’histoire de l’Orchestre Pasdeloup s’inscrit dans celle de l’Orchestre Symphonique en France. À la fin du 19ème siècle, Jules Pasdeloup a sollicité des subventions au Ministère de l’Instruction Publique, fort de constater que l’Orchestre Symphonique nécessitait énormément de moyens. Au 20ème siècle, l’ORTF crée des orchestres avec les chefs de l’Orchestre Pasdeloup (Inghelbrecht, Rhené-Bâton, etc.) et certains de ses musiciens.

Nous avons toujours conservé le nom créé par Jules Pasdeloup : les concerts populaires Pasdeloup, car nous tenons avant tout à cette tradition de la musique pour tous et des créations sans réserve. L’orchestre a une structure juridique originale, puisque c’est une association. Les musiciens peuvent élire un conseil d’administration de neuf musiciens. Son originalité réside aussi dans le fait que les musiciennes et musiciens décisionnaires jouent tous au sein de l’Orchestre. Depuis 2003 j’en assume la présidence tout en continuant, heureusement, à jouer du violon au sein de mon orchestre.

Orchestre Pasdeloup et instruments ©Axel Saxe

Pouvez-vous en dire davantage sur l’engagement de l’Orchestre Pasdeloup pour la promotion des compositrices ?

Cela fait plusieurs années que je suis engagée dans la promotion des femmes artistes. Bien avant la directive de Françoise Nyssen, ancienne ministre de la culture, et de la Maire de Paris, demandant aux directions d’orchestre de s’engager davantage auprès des femmes, en particulier cheffes d’orchestre, j’avais largement impulsé la reconquête par les femmes des places qu’elles méritaient, qu’elles soient compositrices ou solistes. Pour les cheffes d’orchestre, je m’étais déjà engagée dans des recherches approfondies et j’ai trouvé beaucoup de femmes artistes, dans le monde entier. J’ai proposé à l’orchestre d’en engager, tout de suite, et donc un peu avant tout le monde. C’est une fierté pour l’orchestre. Nous avons très rapidement atteint la parité pour les cheffes, les solistes, et même pour les compositrices. Alors, je me suis dit que ce pourrait être intéressant de présenter notre engagement au travers d’un disque. Pour ces artistes, le défi est d’être reconnues, malgré les préjugés. Et le disque est un moyen extraordinaire pour faire connaître des œuvres et des artistes.

Nous avions envie de proposer des choses très diverses, pour des effectifs d’orchestre différents, de styles et d’époques complètement différents, notamment pour montrer la richesse de notre matrimoine.

Comment le lien s’est-il établi avec le Label Présence Compositrices ?

Je me suis bien retrouvée dans la proposition de Présence Compositrices. Je pense notamment qu’à travers l’initiative de la base de données « Demandez à Clara », nous partageons cette valeur commune de faire découvrir et de ne pas se cantonner à un style. Nous avions envie de proposer des choses très diverses, pour des effectifs d’orchestre différents, de styles et d’époques complètement différents, notamment pour montrer la richesse de notre matrimoine. On espère que le public sera sensible à ces propositions et aussi, évidemment, que d’autres orchestres seront intéressés par la programmation des œuvres.

Comment avez-vous procédé afin de choisir les œuvres et les artistes que vous souhaitiez réunir à travers ce disque ?

C’était un véritable défi car il y a tellement de propositions différentes que j’ai craint un moment que ça apparaisse comme un patchwork sans fil rouge. Mais ce disque est une réelle démonstration du champ des possibles de l’orchestre symphonique, qui est une matière sonore en perpétuel mouvement. Le choix des œuvres résulte aussi d’un échange entre les artistes. Les cheffes que nous avons invitées sur ce projet et les œuvres enregistrées, ont presque toutes été programmées dans une saison de l’Orchestre Pasdeloup.

Couverture de l’album ©Agence Le Philtre 

Quelles sont les valeurs et les messages que porte ce disque ?

L’objectif est de montrer qu’il n’y a pas une musique féminine. Aucune cheffe n’a la même façon de diriger ou d’enregistrer. J’aime vraiment ce disque pour sa diversité. Vous entendrez des œuvres très rythmées, mélodiques, intimes, intérieures, romantiques, certaines explorent des sons nouveaux, il y en a même une ou les musiciens tapent du pied. C’est toute la palette, dans son foisonnement et sa plénitude, d’une saison d’un orchestre symphonique.

L’objectif est de montrer qu’il n’y a pas une musique féminine.

Pourriez-vous nous expliquer la démarche de faire diriger des œuvres de compositrices par des cheffes ?

Nous en avons discuté mais ça m’a paru très naturel, car l’originalité réside également dans le choix de quatre cheffes, et non d’une seule qui dirigerait tout le programme. C’est inhabituel mais il est important de montrer qu’elles sont nombreuses et plurielles. Il n’y a pas « une » cheffe, mais de nombreuses cheffes.

Comment avez-vous attitré les œuvres aux cheffes ?

Une grande qualité de programmation de l’Orchestre Pasdeloup est de choisir la bonne adéquation entre les cheffes et le répertoire. Tout le monde ne sait pas tout diriger. Par contre il y a des cheffes extrêmement performantes dans certains styles. C’est notre marque de fabrique. On a étudié, cherché les œuvres et la cheffe qui fait ce répertoire de la manière la plus efficace. Et puis une autre idée en arrière-plan de ce disque est aussi de proposer à de jeunes cheffes de faire leur premier enregistrement. Nous sommes un orchestre de plus de 160 ans et nous avons fait beaucoup de disques ces dernières années au cours desquelles nous avons développé un grand savoir-faire, accompagnés par notre ingénieure du son Alix Ewald Ploquin – là aussi ce métier n’est pas l’apanage des hommes ! L’enregistrement est un tout autre travail que les concerts. C’est à nous, un vieil orchestre avec une telle tradition, de proposer à des jeunes notre savoir-faire pour se lancer dans un premier enregistrement.

Est-ce que l’orchestre envisage de continuer d’explorer le répertoire des compositrices et si oui de quelles manières ?

C’est devenu tout naturel, maintenant on ne se pose plus la question, on les programme. Le public est extrêmement content. On fait beaucoup d’actions auprès des jeunes, des scolaires, des populations qui n’osent pas franchir les portes des salles de spectacles. Je remarque que les petites filles s’identifient vraiment très facilement, ce qu’elles ne faisaient jamais avant. C’est également positif pour les garçons de voir une femme avoir de l’autorité vis-à-vis d’un orchestre de quatre-vingt-dix musiciens. J’invite vraiment tous les orchestres et les institutions à se dépêcher d’engager des femmes parce que c’est quelque chose de très naturel et il est nécessaire de faire tomber les préjugés. Au-delà de ça, les femmes ont besoin de faire partie du spectacle, de diriger, d’être jouées, d’être confrontées au public pour modifier leurs savoir-faire et leurs compositions.

Je remarque que les petites filles s’identifient vraiment très facilement, ce qu’elles ne faisaient jamais avant.

Est-ce que l’orchestre envisage de continuer d’explorer le répertoire des compositrices et si oui de quelles manières ?

C’est devenu tout naturel, maintenant on ne se pose plus la question, on les programme. Le public est extrêmement content. On fait beaucoup d’actions auprès des jeunes, des scolaires, des populations qui n’osent pas franchir les portes des salles de spectacles. Je remarque que les petites filles s’identifient vraiment très facilement, ce qu’elles ne faisaient jamais avant. C’est également positif pour les garçons de voir une femme avoir de l’autorité vis-à-vis d’un orchestre de quatre-vingt-dix musiciens. J’invite vraiment tous les orchestres et les institutions à se dépêcher d’engager des femmes parce que c’est quelque chose de très naturel et il est nécessaire de faire tomber les préjugés. Au-delà de ça, les femmes ont besoin de faire partie du spectacle, de diriger, d’être jouées, d’être confrontées au public pour modifier leurs savoir-faire et leurs compositions.

Avez-vous un coup de cœur sur ce disque ?

J’ai un coup de cœur pour Andromède d’Augusta Holmès, parce que c’est une compositrice qui a composé pour grands symphoniques. Malheureusement, à certaines époques, les compositrices étaient cantonnées à la musique de chambre, dans des salons privés, ce qui fait qu’on ne trouve pas beaucoup d’œuvres de compositrices destinées à de grands symphonique. Or, Holmes a écrit des choses grandioses. C’était une personne très connue à son époque, ce qui est d’ailleurs le cas des compositrices du passé qui ont été choisies. Elles ont été oubliées, mais à leurs époques elles ont été jouées.

Les deux solistes Emilie Gastaud, harpe et Adélaïde Ferrière, Marimba

Avez-vous eu l’occasion de jouer des compositrices durant vos études ?

Absolument jamais. Je ne l’avais même pas remarqué. L’enseignement considérait qu’il n’y en avait pas !

Comment voyez-vous la présence des compositrices évoluer ?

Je pense qu’il y a actuellement un désir de les promouvoir de la part des institutions culturelles en Europe. C’est une belle opportunité de travail pour elles. J’espère que ça va durer, grâce à ces impulsions, et que la programmation des compositrices se fera plus naturellement. Je pense aussi qu’il y en aura bien plus dans les classes des conservatoires nationaux parce que les opportunités économiques créent des émulations. C’est une vague d’énergie positive pour les femmes artistes.

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