Entretien avec la compositrice Michèle Foison à l’occasion de la parution de son catalogue

Propos recueillis par Camille Villanove en avril 2021

« Les gens me regardaient comme un phénomène. Je n’ai pas regretté parce que c’était moi. » Ainsi se souvient Michèle Foison de ses débuts de compositrice. Née en 1942, fille spirituelle de Messiaen, spécialiste des ondes Martenot*, cheffe dorchestre, directrice de conservatoires, riche d’une quarantaine d’œuvres, c’est toujours avec la même force de caractère qu’elle envisage sa vocation : créer et partager son amour de la musique. Des motifs de découragement, Michèle Foison en a pourtant connu beaucoup et très jeune car être femme n’était pas la meilleure porte d’entrée dans la vie musicale des années 1970. A 79 ans, voir publier son catalogue par Présence compositrices réveille son espoir d’entendre jouer ses pièces inédites et de donner le jour à toutes celles qu’elle porte en elle. Coup de projecteur sur une femme et une œuvre sincère, audacieuse et libre.

Michèle Foison se tient debout au milieu de son salon et tient la gigantesque partition de son requiem dans les bras

©Karl Pouillot

Dès mes neuf ans, j’ai ressenti un élan : il fallait que je sois compositrice.

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Comment est née votre vocation de compositrice ?

Toute petite, je dansais et dessinais. Dès mes neuf ans, j’ai ressenti un élan : il fallait que je sois compositrice. Comme Beethoven, mon héros, je me promenais avec un carnet pour noter mes idées musicales. À treize ans, j’ai aussi été attirée par la direction d’orchestre. J’ai mené ces deux activités toute ma vie et j’ai continué à dessiner avec la musique.

De 1967 à 1972 vous étudiez la composition au Conservatoire national supérieur de Paris. Etiez-vous considérée à égalité avec vos camarades masculins ?

J’étais la seule femme dans la classe de composition d’Olivier Messiaen. Quand il a eu connaissance de mon œuvre de fin d’études, Gemme d’étoiles** il s’est adressé aux étudiants : « Messieurs, chapeau bas ! » J’ai senti de la jalousie. Lors de la création, aucun camarade n’a eu l’idée de m’aider en tournant les pages des parties d’ondes Martenot. Il en aurait été autrement pour l’un d’eux.

Le compositeur et pédagogue Olivier Messiaen occupe une place particulière dans votre parcours. Pourquoi ?

Selon la compositrice et professeure Yvonne Loriod « il voulait absolument que [je] sois dans sa classe ». A ma sortie du Conservatoire, il a tenu à ce que je parte à la Casa Velásquez, une résidence de création de l’Institut des Beaux-Arts à Madrid. J’ai été la première compositrice là-bas et la seule femme parmi les artistes lauréats. J’ai pu composer dans des conditions idéales. Tout au long de ma carrière, Messiaen m’a aidée discrètement, en parlant de moi aux bonnes personnes et en assistant à mes concerts. Il a toujours été de mon côté. « Ne vous occupez pas de ce qu’on dit, ma-t-il écrit un jour, jai moi-même été injurié par la critique, suivez votre chemin. » Notre lien est amical et esthétique. Jai toujours son œuvre près de moi. Nous avions en commun une affinité pour la foi, pour la nature et pour la couleur. Mes titres en attestent : Six prières « Tu es l’Amour », Ophélie ou le Miroir des étoiles dormantes, Oiseaux de silence

Ce qui compte pour un.e artiste, c’est d’avoir des opportunités de faire entendre sa musique.

Vous évoquez les écueils de la critique. En tant que femme, avez-vous subi des entraves à votre carrière de compositrice ?

Oui, jai rarement reçu de commandes. Auprès de Radio France, je me suis entendue dire : « il y déjà deux femmes qui ont eu la chance d’avoir des commandes, comment voulez-vous que j’en passe encore une ? » Ce n’était pas recevable de prétendre à une égalité de traitement.  Ce qui compte pour un.e artiste, c’est d’avoir des opportunités de faire entendre sa musique. Or c’était très difficile pour une femme, au début de ma carrière, dans les années 1970.

Michèle Foison se tient debout au milieu de son salon

©Karl Pouillot

Ce qui compte pour moi cest de laisser quelque chose.

Vous avez pourtant persévéré…

Effectivement, cela ne m’a pas empêchée de composer car ma volonté de créer était plus grande.  J’ai organisé moi-même la création de mes œuvres, étant cheffe d’orchestre. Jai peut-être eu tord de ne pas solliciter davantage les éditeurs. Nombre de mes œuvres nont jamais été éditées. J’écris quand même. Ce qui compte pour moi cest de laisser quelque chose.

Quelle organisation avez-vous trouvée pour continuer à composer ?

La composition ne m’a jamais apporté de quoi vivre. C’est pour cela que j’ai passé le Certificat dAptitude à la direction de conservatoire. Bien que première nommée, à 27 ans, des postes m’ont été refusés à cause de mon jeune âge et de mon sexe. Avec mon mari, nous avons alors créé notre propre école de musique à Bu, en Eure-et-Loire, Les sept clés. De 1975 à 1984, j’y enseignais les ondes Martenot et dirigeais les orchestres d’élèves. Puis j’ai été nommée à Alençon, Dreux, et enfin, au conservatoire du Centre à Paris.

Sans commandes, sans soutien des éditeurs, un compositeur ou une compositrice ne peut pas survivre.

La direction d’un tel, établissement, avec ses mille élèves, vous laissait-elle du temps pour composer ?

C’est vrai que les responsabilités administratives et de gestion du personnel prenaient beaucoup de temps et de capacité de concentration. Mais je tenais à poursuivre la composition. Je me levais de plus en plus tôt, me couchais de plus en plus tard. Je n’ai jamais abandonné.

Quelle évolution espérez-vous dans les institutions qui font vivre la création en ce qui concerne la reconnaissance des talents féminins ?

Sans commandes, sans soutien des éditeurs, un compositeur ou une compositrice ne peut pas survivre. J’ai consacré une grande part de ma vie à écrire, sans aucune récompense. Je ne peux même pas prétendre à une retraite parce que je n’ai pas généré suffisamment de droits auprès de la SACEM. Je trouve que ce nest pas juste. C’est un dommage aux compositrices. Si l’on m’avait aidée autrefois, j’aurais eu une vie plus heureuse.

J’ai toujours envie d’écrire des œuvres qui dépassent l’ordinaire.

Qu’attendez-vous de la parution du catalogue de vos œuvres par Présence compositrices ?

Présence compositrices est mon espoir. L’espoir que mon œuvre vive, que ma musique ne reste pas perdue. Jaimerais qu’un disque soit produit pour la faire connaître. Jadorerais entendre la création de mon opéra de comptines*** qui est adapté aux possibilités d’un conservatoire. Pour cela, il me faut un orchestre et un éditeur. Le Requiem pourrait être repris ainsi que l’Ave Maria, l’Offertoire, mes œuvres avec récitant.

Estimez-vous que la création a perdu en liberté par rapport à ce que vous avez connu ?

J’ai toujours envie d’écrire des œuvres qui dépassent l’ordinaire. Pas pour chercher l’excentricité mais pour me dégager des anciennes façons. Quand j’avais trente ans, nous bousculions les choses, nous avions envie douvrir grand la musique. Je pense que cette démarche était utile. Aujourdhui, la création me semble triste. Moins audacieuse.

Dans cette période de grand dynamisme musical, y a-t-il une femme qui vous a marquée ?

La compositrice Yvonne Desportes qui fut mon professeur de fugue au Conservatoire. Elle nest pas jouée souvent. J’ai beaucoup d’admiration pour l’ardeur qu’elle avait auprès des élèves. Elle incarne pour moi une figure de courage.

Le grand public adhère à ma musique parce que l’émotion passe au-dessus.

Revenons à l’un de vos instruments favoris, les ondes Martenot. Vous en jouez et leur avez consacré de nombreuses pages : Gemme d’étoiles, Chemins de temps, Indra. D’où vous vient cette prédilection ?

J’ai eu un coup de foudre pour les ondes en écoutant Turangalilâ-Symphonie de Messiaen. J’ai approfondi le jeu de l’instrument dans la classe de Maurice Martenot, son inventeur. J’aime leur expressivité, leur palette de timbres extraordinaire et la possibilité de créer un son illimité en puissance et en continuité. Par le jeu à la bague, vous n’êtes pas arrêté par des demi-ton mais obtenez des glissandi avec facilité, en passant par les intervalles les plus subtils. Cette subtilité a quelque chose à voir avec la spiritualité.

La spiritualité nourrit votre travail. Comment cette dimension est-elle reçue par le public ?

Dans Gemme d’étoiles par exemple, le grand orgue représente la puissance supérieure, Dieu, tandis que les ondes figurent la part humaine, sensible. Lors des concerts, certains me disaient « on ne pourra pas comprendre ». De fait, le langage est complexe, j’emploie notamment des quart de tons. Cependant, le grand public adhère à ma musique parce que l’émotion passe au-dessus. Il y a quelque chose d’intérieur qui résonne en chacun. Ceux qui ont l’habitude de la musique contemporaine aussi ouvrent leur cœur et apprécient. L’œuvre les emporte plus loin.

visuel de la partition gemme d'étoiles

 Extrait du manuscrit de la partition de Gemme d’étoiles.

Considérez-vous que votre musique s’adresse à tous ?

Je peux vous raconter ce souvenir : en composant mon Requiem****, je voulais qu’il puisse être interprété par des chœurs amateurs, que les églises le reçoivent, donc j’ai adopté un langage plus accessible. Il y a des passages parlés, chuchotés, ce qui est rare dans les Requiem. La création par le Chœur de Paris a eu lieu à St-Roch à Paris, à loccasion des commémorations de la Grande Guerre en 2018. Je me suis organisée pour emmener tout mon village, j’ai loué un car. Auparavant, je leur avais expliqué ma pièce. Ce fut une expérience très forte. J’ai toujours voulu apporter un maximum d’amour de la musique.

* Ondes Martenot : un des premiers instruments électriques au monde, inventé par Maurice Martenot (1898-1980). Quatre modèles ont été développés depuis 1928 qui ont suscité plus de 1500 œuvres : Honegger, Messiaen, Jolivet, mais aussi Brel, Radiohead, Yann Tiersen, Arthur H y ont recouru. On entend des ondes dans la musique de Mad Max, Mars Attacks parmi dautres films.

** Gemme d’étoiles (1969-1971) pour grand orgue à deux organistes, six ondes Martenot et deux percussions. Créé à Saint Eustache en 1971.

*** Une rose dans les cheveux ou le monde des enfants (1995-1998), cont’opéra sur quarante-huit textes de comptines, pour chœur d’adultes, chœur d’enfants et orchestre, avec danse et mime.

**** Requiem pour chœur mixte, ondes Martenot, orgue, harpe, clavier et orchestre, composé en 2009-2011.

Auteur
Camille Villanove