Entretien avec la directrice de l’Orchestre national de Lyon

Propos recueillis par Aliette de Laleu en septembre 2020.

 

Directrice de l’Orchestre national de Lyon, Aline Sam Giao cherche à mettre en lumière les compositrices via les œuvres pour orchestre. Son atout ? Les commandes, méthode souvent plus facile à mettre en place pour porter un répertoire féminin.  

 

© Manuel Braun  

 

Pour cette saison, deux œuvres de compositrices, celles de Camille Pépin et de Louise Farrenc, seront dirigées par le jeune chef britannique Ben Glassberg, est-ce un hasard ?

Disons qu’il a réagi à des propositions que nous lui avons faites, et comme Ben Glassberg est chef invité associé à l’orchestre, il a une forme de relation où nous sommes plus proches dans les choix et les axes que nous voulons défendre. On peut lui suggérer des projets qui nous tiennent à cœur, et je pense aussi qu’il est sensible et souple sur ces questions-là, toujours prêt à découvrir de nouvelles œuvres et à les défendre. La proposition vient de nous et il a accepté, ce qui n’est pas le cas de tous les chefs.

Vous avez des refus catégoriques ?

Oui, par exemple la saison dernière nous n’avons pas pu donner une pièce de Leokadiya Kashperova [compositrice russe du 19e]. Notre délégué artistique a passé beaucoup de temps à chercher un chef ou une cheffe prêt à la diriger, sans succès. Ce n’est pas forcément parce que c’est une œuvre d’une compositrice, c’est avant tout une œuvre peu connue et qui n’est donc pas au répertoire de la plupart des chefs d’orchestre. Les œuvres à découvrir demandent plus de travail, c’est quelque chose qui se prévoit sur un emploi du temps, plus que diriger une 7e symphonie de Beethoven. Et dans ce cas précis, c’est aussi la compositrice que l’on ne connaît pas bien, or on peut se demander si c’est bien, si l’univers nous plaît, si le jeu en vaut la chandelle. 

Les œuvres à découvrir demandent plus de travail, c’est quelque chose qui se prévoit sur un emploi du temps, plus que diriger une 7e symphonie de Beethoven.

Il y a des chefs à convaincre mais aussi un public : comment faire pour remplir l’auditorium avec des œuvres de compositrices peu connues ?

Je dirais que pour les œuvres moins connues, c’est le même combat, peu importe que ce soit une femme ou un homme. La stratégie dans une salle de 2000 places comme l’auditorium de Lyon, c’est qu’il y a 800 spectateurs acquis, et puis 1200 qu’il faut aller chercher, un par un, plusieurs fois par semaine. Une des stratégies, c’est de mettre des locomotives : des têtes d’affiche, que ce soit des œuvres ou des solistes. Pour les créations comme les concertos, appeler des solistes très connus, notamment celles et ceux qui s’impliquent dans la musique contemporaine, nous rend grand service parce que les gens viennent les écouter. Et puis il faut assumer au départ que le public est peu nombreux pour les œuvres inconnues, mais qu’à force de les jouer, il va grandir.

Vous misez aussi sur les enregistrements… Est-ce que vous voyez ce procédé comme une stratégie pour mettre en avant les compositrices ?

C’est en réflexion, nous sommes en train de construire la ligne discographique. Il y a une tradition de musique française portée par l’ancien directeur musical Leonard Slatkin autour de Berlioz, Ravel, Debussy… Et comme notre nouveau directeur musical Nikolaj Znaider est plutôt sur la musique romantique allemande, cela peut être intéressant d’avoir un projet qui fait des correspondances entre cette musique et des œuvres moins connues du répertoire français du 19e et 20e siècle, dans lesquelles on peut très bien imaginer des œuvres de compositrices. 

A l’inverse des œuvres du répertoire, vous comptez beaucoup sur les commandes pour faire entrer les compositrices dans votre programmation ?

Je fais la différence entre la commande, plus facile à mettre en place parce que la compositrice est là, les partitions aussi, et les œuvres du répertoire à redécouvrir mais qui sont plus complexes à donner. C’est très important de valoriser le matrimoine, de sortir un répertoire oublié de l’histoire, mais c’est souvent plus difficile de trouver des œuvres orchestrales composées par des compositrices.

C’est très important de valoriser le matrimoine, de sortir un répertoire oublié de l’histoire, mais c’est souvent plus difficile de trouver des œuvres orchestrales composées par des compositrices.  

Peut-on faire plus pour la mise en valeur des compositrices ? 

Les chiffres pour l’Orchestre national de Lyon (avant 2020-2021) oscillent entre 1 et 4% de compositrices, ce n’est pas assez, il faut aller au-delà, faire plus. Je trouve que des outils pratiques comme des bases de données sont très bien mais cela ne suffit pas : la base de données arrive à partir du moment où il y a la volonté de le faire. Je pense qu’il y a d’abord un travail de communication à développer sur l’importance de découvrir le matrimoine et de le jouer. Je mise aussi sur les mesures incitatives des financeurs (même si c’est décrié), se dire que l’on va être évalué sur notre capacité à faire avancer la visibilité des compositrices, des cheffes d’orchestre et des femmes en général.

Je pense qu’il y a d’abord un travail de communication à développer sur l’importance de découvrir le matrimoine et de le jouer.

Vous sentez-vous soutenue dans cette démarche ?

Je me sens très soutenue par le ministère de la Culture, que je trouve très engagé sur la question depuis environ 10 ans. Les différentes ministres (Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin, Audrey Azoulay) ont pris les choses à bras le corps et ont voulu être impliquées, ce qui s’est traduit dans les buts à atteindre pour les conventions d’objectifs, dans les indicateurs que l’on doit rendre chaque année, depuis 2 ou 3 ans, et puis dans les enquêtes égalité obligatoires que l’on doit rendre à la Drac (Direction régionale des affaires culturelles). 

Dans la profession, nous avons eu cette charte égalité avec les orchestres et opéras en 2018 qui a fait bouger les choses. Depuis nous suivons des actions concrètes, c’est devenu un sujet dont se saisissent les directeurs d’opéra et d’orchestre, même ceux qui n’étaient pas convaincus avant 2018. On sent que la discussion entre nous a porté ses fruits, pas forcément sur tous, mais les choses bougent dans les établissements. 

Est-ce qu’être une femme vous aide à porter ce combat ?

Non, je ne crois pas. Je pense que c’est beaucoup plus fort si c’est un homme qui le porte. Cependant, être féministe m’aide. Et c’est une position que j’assume, avec des convictions qui datent de mes 20 ans. Mais je ne pense pas qu’être femme m’aide, au contraire, on pourrait dire que comme je suis une femme, j’amène le sujet sur le tapis. Ce serait donc plus fort si tous les hommes s’engageaient, avec des convictions personnelles. 

Mais je ne pense pas qu’être femme m’aide, au contraire, on pourrait dire que comme je suis une femme, j’amène le sujet sur le tapis.

Vous avez évoqué le Centre Présences Compositrices, quels seraient les bénéfices que vous pourriez en tirer pour votre orchestre ?

Je pense davantage à l’aide à la programmation que cela pourrait apporter, c’est à dire conseiller une œuvre du matrimoine dans un programme donné, thématique, pour que ce soit cohérent. Mais pour cela, il faut des moyens humains, et c’est tout l’enjeu du développement du centre. On peut aussi imaginer des subventions autour de la création contemporaine ou des œuvres moins connues. L’enjeu est souvent financier, donc si le centre est en capacité de distribuer des subventions pour faire naître et/ou graver des œuvres de compositrices avec un orchestre comme le nôtre, c’est intéressant et utile.

Auteur
Aliette de Laleu