Rencontre avec Benoît Rameau, lauréat du Prix Présence Compositrices 2023

Propos recueillis par Théa Legrand en septembre 2023

Jeune ténor éperdu de Lied et de poésie, Benoît Rameau a été couronné de succès lors de l’édition 2023 du Concours International de Chant de Marmande. Il remporte le prix Présence Compositrice ainsi que le 1er prix Mélodie Française et celui du Théâtre Lyrichorégra avec le soutien de l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ). Le Centre Présence Compositrices récompense pour la troisième année consécutive la valorisation par de jeunes talents, des œuvres composées par des femmes. Interpelé par l’univers particulier de la compositrice Nadia Boulanger (1887-1979), Benoît Rameau interprète Versailles (1906) et Soir d’hiver (1915).

Photo: © Amandine Lauriol

Vous avez étudié le saxophone et le piano au Conservatoire de Strasbourg, puis obtenu plusieurs diplômes dans des disciplines vocales. Comment a débuté votre parcours dans la musique en amont de vos études ?

C’est en voyant jouer des musiciens de rue que j’ai eu envie de faire de la musique. Le chant et la voix sont venus ensuite. À Strasbourg on devait choisir une pratique collective dans le cursus d’instrumentiste, mais en saxophone et en piano on n’avait pas beaucoup de choix : c’était improvisation, harmonie ou chorale. Je suis entré dans la chorale du conservatoire. Comme j’ai mué rapidement, j’ai fait un an avec le chœur de jeunes, mais j’ai vite rejoint le chœur des étudiants-chanteurs du conservatoire. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que ça me plaisait.

Votre pratique du saxophone vous a-t-elle aidée pour celle du chant, en termes de gestion du souffle peut-être ?

En réalité le saxophone ne m’a pas trop aidé pour le chant, c’était même plutôt l’inverse. Les équilibres de pression entre l’instrument à vent à anche, comme le saxophone ou la clarinette, et la voix sont très différents. Pour que le saxophone sonne, il faut mettre énormément de pression. Alors que les cordes vocales c’est tout l’inverse, étant donné qu’elles sont très petites. Il a fallu que je m’adapte et que je réapprenne à gérer mon souffle. Par contre, pour la musculature, la liberté de la langue et de la mâchoire, je pense que le saxophone m’a beaucoup aidé à avoir conscience de ces zones.

Je crois que globalement il est plus difficile de construire une carrière uniquement sur de la musique de chambre, surtout en tant que jeune chanteur.

Aviez-vous déjà pris des cours de théâtre en amont ? Quels sont les enjeux auxquels vous devez faire face en tant que chanteur d’opéra ?

Pendant ma formation, il y avait des cours de théâtre pur et dur et des cours de théâtre chanté, où on travaillait la physicalité et la mise à distance de notre instrument. Parfois la manière dont on doit faire fonctionner notre instrument pour chanter la partition n’est pas compatible avec l’émotion que l’on doit faire ressentir au spectateur. D’une manière générale, quand on ressent de vives émotions, souvent la première chose impactée est la voix. On apprend donc à mettre de la distance entre l’instrument et le jeu d’acteur, afin de pouvoir faire passer l’émotion tout en chantant la partition.

À propos de votre succès aux Nuits Lyriques de Marmande, qu’est-ce qui vous motivé à présenter le prix Présence Compositrices ?

Du côté pragmatique d’abord, l’opportunité supplémentaire d’obtenir un prix. Ce qui m’a également motivé est la possibilité de découvrir de nouveaux répertoires, à travers des recherches personnelles pour la construction du programme d’œuvres à présenter lors du concours, mais aussi en écoutant ceux des autres chanteuses et chanteurs.

Comment avez-vous élaboré votre programme ? Est-il le fruit de vos recherches personnelles ?

J’avais déjà chanté une des œuvres de la finale, Versailles de la compositrice Nadia Boulanger. C’est une pièce que j’aime, avec laquelle je me sens à l’aise et que je trouve étonnante, la poésie est très étrange, j’aime bien cet univers. Pour la deuxième pièce, ça s’est un peu corsé. On va vite vers des choses que l’on connait. Forcément j’ai pensé à Lamento de Pauline Viardot, qu’on connait au moins d’oreille, notamment parce qu’il y a beaucoup d’enregistrements, qu’on peut écouter et apprendre facilement. Mais je me suis dit que si je me posais la question c’est que cette idée avait déjà dû traverser d’autres esprits. J’ai fait quelques recherches et je me suis rendu compte que j’aimais vraiment bien l’univers de Nadia Boulanger, donc je suis allé explorer ses partitions. J’ai trouvé Soir d’hiver. C’est l’histoire d’une femme qui parle à son enfant. Je me suis dit qu’en 2023, un homme peut aussi la chanter. La musique m’a vraiment plu, l’ambiance est assez particulière.

Mon objectif principal en chantant ce répertoire est bien sûr de bien chanter, mais surtout de faire passer la poésie.

Vous avez présenté Versailles et Soir d’hiver de Nadia Boulanger, qui sont toutes deux écrites pour des voix moyennes. Votre tessiture vous permet-elle d’osciller entre des voix moyennes et aiguës ?

Dans les partitions, je ne prête pas trop d’attention aux registres de voix. Je regarde si je m’y sens à l’aise. Dans le répertoire de mélodie avec de la poésie française, je trouve vraiment important de pouvoir chanter le texte de manière limpide dans l’articulation et l’énonciation. Souvent, plus on monte dans les aigus, plus il est difficile d’obtenir une voyelle parfaitement pure, des consonnes hyper précises. Mon objectif principal en chantant ce répertoire est bien sûr de bien chanter, mais surtout de faire passer la poésie. Par ailleurs, il se trouve que j’ai un médium plutôt facile et sonore. Ça peut faire la différence lors d’un concours de montrer que je suis à l’aise sur toute ma tessiture, même si je n’ai pas montré de grands aigus.

Chez Nadia Boulanger, l’énonciation du poème est mise en musique afin de guider la parole.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’univers de Nadia Boulanger ?

Je l’ai découverte récemment, alors que je préparais le Concours international de chant-piano Nadia et Lili Boulanger avec un pianiste. Je crois que j’ai été séduit par sa manière d’écrire. Elle écrit tout ce qu’il faut faire musicalement. À chaque fois que je lis ses partitions et que je m’aperçois qu’elle a placé un louré ici, une liaison là, je me dis que je l’aurais fait assez spontanément si je n’avais pas eu ses indications, parce que je trouve ça beau musicalement. C’est une musique que je comprends. Je trouve aussi que la prosodie est particulièrement bien réussie. Parfois certains compositeurs écrivent de faux accents, il faut essayer de jouer avec pour que la poésie soit la plus claire possible. Chez Nadia Boulanger, l’énonciation du poème est mise en musique afin de guider la parole.

J’ai la conviction que lorsqu’on est artiste, on est militant.

La redécouverte et l’interprétation du répertoire composé par des femmes sont-elles pour vous un acte militant ?

Je pense que je vais me faire taper sur les doigts si je dis ça mais tant pis. J’ai la conviction que lorsqu’on est artiste, on est militant. C’est militant de prendre la parole sur des sujets, que ce soit dans les opéras, où se jouent des histoires politiques, parfois assez violentes, ou très engagées. Faire ce métier, prendre la parole devant un public, défendre un art, est un acte militant. Je pense qu’encourager la (re)découverte de la moitié de la population que l’histoire a mise à l’oubli, est un acte militant. Je pense aussi malheureusement que depuis ma position actuelle de jeune artiste, voulant aussi plaire à l’employeur, ce ne sont pas des choses évidentes à mettre en place dès l’entrée dans le métier. Mais j’ai envie de m’inscrire dans ces changements à l’avenir parce que c’est important.

Cette expérience vous a-t-elle fait découvrir de nouvelles compositrices ? Si oui, lesquelles ?

Je n’ai pas vraiment découvert de nouvelles compositrices, j’en ai plutôt redécouvert. Par exemple, lors du concours un candidat chantais du Mel Bonis, qui n’est pas la compositrice la moins connue. Mais je me suis dit : c’est bête, je la connais, je connais son nom et je n’ai pas eu l’idée d’aller fouiller davantage. Parfois, même quand on est dans une démarche de recherche, on oublie qu’on connait des choses et qu’on possède déjà des clés, des points de départ vers lesquels creuser. C’était très intéressant de découvrir le programme des autres candidats.

Quels sont les principaux projets dans lesquels on vous retrouvera prochainement ?

Je fais beaucoup de représentations scolaires. Avec l’Arcal, nous avons réalisé un projet autour de Narcisse et de la relation aux réseaux sociaux. Il n’y a pas de jugement sur l’usage des réseaux sociaux, ce qui en fait une pièce très intéressante pour les jeunes, qui sont directement touchés. Ils ont des réactions en direct, c’est génial. C’est ça qui est formidable dans l’écriture de l’autrice et de la compositrice, Marion Pellissier et Joséphine Stephenson. Avec l’opéra de Lyon, nous tournons Zylan ne chantera plus, une pièce sur l’homophobie. On la joue parfois dans les établissements scolaires, assez proche des élèves. Ce qui est important est qu’on a des temps d’échange avec eux par la suite. Il y a un vrai travail de médiation, où l’on peut essayer de faire passer des valeurs importantes surtout à des âges comme l’adolescence. Par ailleurs, je serai dans la prochaine création contemporaine d’Othman Louati écrite à partir du film Les Ailes du désir. Pour la première fois, je serai aussi à l’Opéra-Comique dans L’Heure Espagnole de Maurice Ravel.

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