Rencontre avec la compositrice du conte musical "Grande bouche aux mille notes"

Entretien mené par Camille Villanove en septembre 2021

Recevoir une commande de la part d’un lieu de diffusion de la musique représente pour un∙e jeune artiste une reconnaissance et un encouragement décisifs. Depuis plusieurs années, Présences féminines, devenu Présence compositrices, offre ainsi à des compositrices l’opportunité d’écrire un conte musical créé au cours du festival, qui se tient chaque année à Toulon. Parmi les nombreuses jeunes-femmes ayant répondu à l’appel à candidature en 2020, le jury a sélectionné Cécile Buchet*. C’est la première fois que cette musicienne de 33 ans compose un conte musical pour récitant∙e et quatuor à cordes. Le texte, intitulé Grande bouche aux mille notes a été écrit spécialement pour ce projet par Anna Veyrenc. « Un conte moderne en lien avec la terre et la filiation, la musique et la création », comme le désirait cette auteure et comédienne, fidèle collaboratrice du Festival Présence compositrices.
La 11e édition du Festival Présence compositrices s’ouvrira par la création de ce bijou de poésie et d’exploration sonore confié au Quatuor Zaïde et au comédien Yanowski. Rendez-vous mercredi 13 octobre à 20h au Liberté à Toulon. Pour en savoir plus sur cette nouvelle œuvre et sur sa compositrice, le Mag est fier de donner aujourd’hui la parole à Cécile Buchet.

La compositrice Cécile Buchet

Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à cet appel à candidature ?

L’idée de composer un conte musical. J’aime travailler à partir de sources littéraires, en particulier celles dont le sujet est poétique ou légendaire. Avant de postuler, cependant, j’ai demandé à avoir connaissance du livret, ce qui m’a été accordé. Le texte d’Anna Veyrenc m’a convaincue.

Quelle a été votre première impression à la lecture de ce texte ?

J’ai été sensible à sa dimension onirique. C’est par le rêve qu’Ariane arrive à mieux se connaitre. Mais son initiation est racontée sans que l’on sache clairement si c’est un songe ou la réalité. Cela m’a orienté vers la transcription d’un monde irréel, propre aux contes.

Extrait du livret :

« A chaque fois que ses pieds touchaient la terre, elle se répétait : Je suis Ariane, j’ai en moi plus que les mots, j’ai un don, j’enchante le monde avec ma musique. »

Comment s’est passé la collaboration avec l’auteure Anna Veyrenc ?

L’été 2020, quand j’ai su que ma candidature était retenue, j’ai contacté Anna. Elle m’a décrit son intention, ce qu’elle avait imaginé. Elle m’a conseillé de concevoir la musique de telle sorte qu’elle puisse vivre sans le texte.

Cette suggestion a-t-elle orienté la composition ?

Oui. Initialement, je voulais transposer le caractère onirique de Grande bouche aux mille notes. Toutefois, en m’immergeant dans le conte, les émotions vécues par l’héroïne me sont parvenues au premier plan. Ma musique s’est détachée de la narration et n’illustre pas les personnages ni les actions. D’où le sous-titre « les affects » que j’ai donné à la partition. Un quatuor peut effectivement jouer cette œuvre sans récitant∙e.

Dans le cadre imposé par la commande de Présence compositrices et de ProQuartet, l’œuvre ne devait pas dépasser quarante-cinq minutes. Vous avez opté pour une forme fragmentaire qui n’était pas induite par le texte. Pourquoi ?

Je me sens à l’aise dans l’écriture de courtes pièces avec des moments caractérisés. J’aime beaucoup les œuvres pensées sous forme d’aphorisme, comme les Microcosmos de Bartók. Du conte d’Anna Veyrenc, j’ai dégagé dix-huit affects tels la monotonie, la colère, l’apaisement, ou la persévérance. Ces affects sont devenus à la fois la matière et la structure de la partition : celle-ci se présente sous forme de dix-huit courtes pièces indépendantes. Dans le cas où elle serait donnée sans le texte, libre aux interprètes de choisir certains numéros ou de ne pas respecter l’ordre de la partition.

Extrait du livret :

« Il y avait une hardiesse enjouée et bavarde chez cette orpheline de village que tout le monde appelait Grande Bouche. Avant même qu’elle y pense, les mots la devançaient et elle les semait partout »

Ce texte d’Anna Veyrenc met en scène une petite-fille et donne la parole à un chat, un oreiller. Avez-vous écrit un conte destiné au jeune public ? Qu’aimeriez-vous vous faire vivre aux enfants à travers votre musique ?

J’aimerais que les enfants aient reconnu certains affects. Cela voudrait dire que j’ai plus ou moins réussi à les exprimer musicalement. Pour autant, je n’ai pas adapté mon langage à l’âge de l’héroïne. J’ai essayé d’écrire quelque chose qui me plaisait. C’est compliqué de toucher les gens si l’on n’est pas sincère avec soi-même.

C’est compliqué de toucher les gens si l’on n’est pas sincère avec soi-même

La création de ce conte musical est confiée à Janowski et au Quatuor Zaïde. Vous êtes-vous rencontrés au cours de la phase de composition ? Cela vous a-t-il stimulée ?

En mars dernier, nous avons bénéficié d’une séance de travail. La partition était entièrement écrite. A l’issue de cette première lecture, j’ai porté quelques retouches : raccourcir certains passages, revoir un détail d’écriture pour permettre plus de fluidité dans l’interprétation. Ecrire pour quatuor à cordes m’a beaucoup intéressée. Cela m’a permis de poursuivre ma recherche d’un langage non diatonique**. Cest relativement facile dutiliser les quarts voire les huitièmes de tons avec les instruments à cordes.

Vous avez tenu à ajouter au quatuor des sons diffusés par un dispositif électronique. Est-ce dans une perspective expérimentale ?

En effet, la musicienne qui tient la partie de violon 1 doit déclencher à six reprises des pistes de une à six minutes que j’ai réalisées en studio. Dans cette pièce comme dans d’autres œuvres mixtes que j’ai composées***, cette technique me permet d’ajouter des éléments musicaux qui dépassent les possibilités du jeu instrumental, notamment au niveau harmonique. Depuis quatre ans, je me forme à linformatique musicale. Japprends beaucoup et voudrais suivre cette direction à l’avenir.

Extrait du livret :

« Elle sentait que le monde avait faim d’autre chose que de ce qui est toujours rentable. La Vie demandait qu’on l’écoutât, pour la goûter autrement. »

Cette première expérience dans le genre du conte musical fait-elle naître d’autres envies ?

Oui, jaimerais écrire dautres contes musicaux. Cest le genre de projet qui me plaît beaucoup car j’aime l’univers de l’enfance.

Quels sont vos rêves de compositrice, en dehors de ce nouvel axe ?

J’ai en tête plusieurs pièces que je voudrais écrire. Malheureusement, les occasions ne se sont pas encore présentées pour les jouer. Surtout, ce qui me fait envie depuis longtemps, c’est d’écrire un opéra. Jai déjà l’idée du livret. Pour cela, je devrais me libérer du temps par rapport à métier de professeure de formation musicale et être soutenue en terme financiers et humains. Mon idéal,  ce serait de vivre de la composition, d’y consacrer tout mon temps dans un environnement calme, au bord de la mer. Mais c’est un peu utopique.

J’aime l’univers de l’enfance

Quelles compositrices actuelles admirez-vous ?

Il me semble difficile d’aimer toute l’œuvre d’un même compositeur ou compositrice contemporain∙e. J’ai plutôt des coups de cœurs pour telle ou telle pièce que je trouve vraiment bien écrite. Parmi celles-ci, il se trouve que l’auteur est souvent une femme. Ainsi Moult pour orchestre de Clara Iannotta m’a beaucoup marquée. De même Pentameron pour quatuor à cordes de Dahae Boo. Loïse Bulot a composé de jolies pièces électroniques. Chez chacune, j’aime la précision de l’écriture. C’est très travaillé. Il y a quelque chose qui me touche quand j’écoute, ce qui est rare selon moi.

Clara Iannotta m’a beaucoup marquée

Une femme qui a particulièrement compté dans votre parcours ?

Au cours de mes études d’écriture, je nai eu aucune femme professeure. Celles grâce à qui je suis musicienne aujourd’hui, ce sont ma mère et ma grand-mère. Je ne viens pas dune famille de musiciens ; elles mont pourtant énormément soutenue dans ce que jai voulu accomplir musicalement, faisant en sorte que je puisse avoir tout ce dont javais besoin pour progresser.

 

* Le jury était composé de Claire Bodin, directrice artistique du centre Présence Compositrices, Estelle Lowry, directrice de la Maison de la Musique Contemporaine, Jérôme Gay, co-directeur de l’opéra de Toulon et Pierre Korzilius, directeur de ProQuartet, Centre européen de musique de chambre, co-commanditaire de l’oeuvre.

** Diatonique : musique reposant sur une gamme constituée de tons et de demi-tons.

*** Notamment La petite danseuse d’eau pour harpe et électronique, 2019.

Pour aller plus loin

Le parcours de Cécile Buchet en dix étapes :

  • 1988 : Naissance à Lille.
  • 1996 – 2006 : Médaille d’or de harpe au Conservatoire à Rayonnement Régional de Lille.
  • 2004 – 2009 : Prix d’Écriture et Perfectionnement au Conservatoire à Rayonnement Régional de Lille, dans la classe de Christian Bellegarde dont l’enseignement la marque durablement.
  • 2009 – 2015 : Master d’Écriture au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP). Elle y suit notamment les cours d’analyse de Bruno Plantard qui revêtiront pour elle une importance particulière.
  • 2015 – 2017 : Certificat d’Aptitude aux fonctions de professeur d’Écriture et Master de Pédagogie au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMDL).
  • 2017 – 2019 : Diplôme d’Études Musicales en composition dans les classes de Jean-Luc Hervé et Yan Maresz au Conservatoire à Rayonnement Régional de Boulogne-Billancourt.
  • 2018 : Sa pièce La bailarina de flamenco est sélectionnée en demi-finale de la sixième édition du concours de composition pour harpe Ruth Inglefield de Bloomington.
  • 2019 – 2020 : Études de composition électroacoustique au Pôle Supérieur d’Enseignement Artistique Paris-Boulogne-Billancourt (PSPBB), dans la classe de Yan Maresz.
  • 2020 : Ses pièces La petite danseuse d’eau, La bailarina de flamenco, Nébuleuse et Scintillements sont sélectionnées en finale de la deuxième édition du concours Zodiac International Music Competition dans la catégorie Composition.
  • 2020 : Lauréate de lappel à candidature de Présence compositrices et Pro Quartet pour la commande dun conte musical.
  • Ecouter la musique de Cécile Buchet
  • Liste des œuvres de Cécile Buchet sur Demandez à Clara !
  • Appel à projets Présence Compositrices 2020

Cécile Buchet au Festival Présences compositrices 2021

Auteur
Camille Villanove