Rencontre avec Julien Henric, lauréat du Prix Présence Compositrices 2022

Propos recueillis par Valentin Gautron en septembre 2022  

Le jeune ténor lyonnais Julien Henric est sorti fort primé de l’édition 2022 du Concours International de Chant de Marmande. Il remporte en effet le 1er Prix mélodie française, le 3e prix Opéra ainsi que le prix Présence Compositrices. Pour la deuxième année consécutive, le Centre récompense, au concours de Marmande, les jeunes artistes lyriques qui mettent en avant et interprètent avec talent des pièces de compositrices. Julien Henric a choisi de mettre à l’honneur la compositrice alsacienne Marie Jaëll (1846-1925) avec sa mélodie «Les petits oiseaux» ainsi que Lili Boulanger (1893-1918) avec «Nous nous aimerons tant» extrait de son cycle Clairières dans le ciel.

Photo: © Marie Fady

Vous êtes né à Lyon, vous avez étudié là-bas, au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse notamment, mais comment a débuté votre parcours musical ?

Je rajouterai même que j’ai fait le Conservatoire à Rayonnement Régional de Lyon avant cela, que j’ai fait toutes mes études à Lyon et que j’y habite actuellement, il y aurait presque quelque chose de chauvin dans cette démarche. Mais avant de chanter, j’ai fait des études d’ingénierie dans le génie civile : un profil plutôt mathématique et cartésien, ce qui n’est pas un défaut quand il s’agit d’apprendre le solfège. Mon parcours musical a commencé lorsque je prenais des cours de théâtre ; une professeure de chant qui venait nous apprendre comment poser la voix a été intriguée par ma voix et ma corpulence. En effet, je suis très grand (1m97) et, comme les instruments de musiques, les corps grands sont supposés sonner plus graves, or je suis bel et bien ténor ! C’est quelque chose d’assez loufoque et qui présente une certaine rareté, mais avec le temps j’ai su en faire une force.

Je suis très grand (1m97) et, comme les instruments de musiques, les corps grands sont supposés sonner plus graves, or comme je suis bel et bien ténor !

Vous n’avez donc pas commencé par un instrument, comme c’est le cas pour beaucoup de chanteurs ?

Non malheureusement, j’ai dû suivre les classes de solfège avec des enfants de huit ans pour apprendre à lire la musique. J’ai travaillé très dur pour rattraper ce retard et l’on m’avait même fait une injonction de progrès lors de mon entrée au CNSM, m’obligeant à une marge de progrès dans les six prochains mois sous peine d’exclusion ! Mais en travaillant de manière régulière et grâce aux nombreux cours de solfège et de lecture, j’ai pu combler ce retard assez vite. Mais c’est vrai que beaucoup de mes collègues ont d’abord commencé par un instrument et en fin de compte, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose dans mon cas ; j’ai pu aborder beaucoup de répertoire et de notions musicales avec un œil neuf.

Vous défendez aussi bien le répertoire de chambre que le répertoire lyrique, ces deux pans de la vie du chanteur ont-ils la même importance pour vous ?

Je pense que si je me posais réellement la question je n’aurais pas de préférence pour l’un ou pour l’autre, car ma préférence va au chant. Ce sont deux vocalités différentes, et même si j’ai tendance à penser que le geste phonatoire est le même, on n’aborde pas ces deux répertoires avec la même pâte vocale. Malgré tout, si l’on est terre à terre, lorsque l’on commence de plus en plus à chanter des rôles à l’opéra, il devient difficile d’inclure dans sa saison des épisodes de musique de chambre. Cela doit venir d’une forte volonté de notre part. De par l’état du monde musical actuel, surtout après la pandémie, la mélodie et le lied deviennent finalement quelque chose de complémentaire à la vie d’un chanteur. Dans mon cas, cela reste cependant indispensable, c’est toujours un grand plaisir de revenir à ce répertoire et parfois, il y a bien plus de travail dans la conception d’un programme de mélodies que dans la préparation d’un rôle d’opéra.

Il y a parfois bien plus de travail dans la conception d’un programme de mélodies que dans la préparation d’un rôle d’opéra.

Pour en revenir à votre succès récent à Marmande, qu’est-ce qui vous motivé à présenter le prix Présence Compositrices ?

Il y a bien entendu une raison pratique, où l’on essaye de concourir pour un maximum de prix lorsque l’on participe à un concours, mais au-delà de ça, je viens d’une famille de femmes fortes, qui se sont souvent battues  pour une certaine forme d’émancipation. Cet héritage m’a permis de considérer les femmes comme des figures puissantes, que j’ai toujours tenues en haute estime. Ce qui m’a séduit également dans la démarche de Présence Compositrices c’est de considérer ces artistes pour leur art et pas uniquement pour leur genre.

Comment avez-vous conçu votre programme ? Est-il issu de recherches personnelles ?

J’ai préparé ces deux pièces spécifiquement pour le concours. Pour Marie Jaëll, cela partait vraiment d’une volonté de présenter au public une musique qu’il n’aurait jamais entendue. J’ai fait des recherches pour trouver des enregistrements, des articles ou des témoignages qui parleraient de cette mélodie mais je n’ai rien trouvé. L’idée de proposer quelque chose d’inédit m’a donc beaucoup  séduit, surtout si cela pouvait mettre en valeur l’œuvre de Marie Jaëll. Quant à Lili Boulanger, j’ai réellement découvert sa musique lorsque j’ai eu la chance de chanter sa cantate Faust et Hélène avec Marc Minkowski l’année dernière, c’est d’ailleurs cette œuvre qui lui a permis de remporter le prix de Rome en 1913. Je suis vraiment tombé amoureux de sa musique, et puisqu’il faut également que le public et le jury se raccrochent parfois à des choses plus connues, un extrait de son fameux cycle Clairières dans le ciel m’a paru tout à fait adéquat.

Je suis vraiment tombé amoureux de la musique de Lili Boulanger.

Face à la musique de Lili Boulanger, au vu de votre expérience avec Faust et Hélène, trouvez-vous que cette musique convient à votre voix ? Est-ce une vocalité et un univers musical qui vous a tout de suite semblé familier ?

Je trouve qu’elle écrit une musique qui vous force à donner le meilleur de vous-même. C’est une compositrice qui sait parfaitement comment sonne et comment fonctionne tous les instruments qu’elle utilise, y compris la voix. Elle réussit à tirer le maximum du potentiel de chacun ; pour la voix, elle demande souvent un ambitus assez large, une palette de couleurs et de nuances très complète et une clarté absolue dans le texte. En fin de compte, c’est une musique qui est comme un terrain de jeu pour moi, j’ai pu m’y développer et me mettre en valeur grâce à elle. Pourtant, cela reste une musique d’une très grande exigence : tout est écrit, tout est millimétré, chaque virgule et chaque nuance sont notées et rien n’est laissé au hasard. Mais je ne le vois pas comme un carcan, plutôt comme un guide, comme si la compositrice me prenait par la main et me disait : «Viens, tu as juste besoin de lire ce qui est marqué, il n’y a pas besoin de réfléchir». C’est un tout autre défi qu’un grand air d’opéra !

Avez-vous eu connaissance de la base donnée du site Présence Compositrices afin de concevoir votre répertoire ?

J’en ai malheureusement eu vent après avoir commencé à travailler mon programme pour Marmande. Pour autant, j’y ai bien évidemment jeté un œil et j’avoue être tombé des nues. Lorsque l’on chante du Lili Boulanger ou du Clara Schumann, on chante en fait les superstars des compositrices. Alors lorsque j’ai vu la quantité de noms qui m’étaient totalement inconnus dans cette base de données, je me suis senti bien bête !

Lorsque j’ai vu la quantité de noms qui m’étaient totalement inconnus dans cette base de données, je me suis senti bien bête !

Vivez-vous la redécouverte et l’interprétation du répertoire écrit par des femmes comme un acte militant ?

Je n’ai pas réellement présenté le prix Présence Compositrices avec une initiative militante, mais plutôt avec une volonté presque pédagogique, afin de faire découvrir et de faire apprécier au public cette musique sublime. Je pense qu’il ne faut pas systématiquement présenter au public les œuvres de compositrices comme écrites par des femmes, mais avant tout par des artistes à part entière. Des artistes qui n’ont certes, pas eu les mêmes chances et les mêmes opportunités que leurs confrères, mais dans l’absolu  j’aimerais même que l’on présente ces œuvres en aveugle. Le public viendrait écouter des œuvres, les apprécierait à leur juste valeur, et il découvrirait ensuite que ce sont des femmes qui ont écrit cette musique. J’aimerais proposer cela comme quelque chose de positif et d’éducatif.

Y-a-t-il une compositrice ou du moins une œuvre de compositrice que vous souhaiteriez absolument aborder dans les mois ou les années à venir ?

J’aurais plutôt envie d’aller plus loin dans l’interprétation de l’œuvre de Lili Boulanger. Mais c’est aussi comme cela que je fonctionne : lorsque que je découvre un compositeur ou une compositrice, un style ou une œuvre qui me plaît, j’aime aller au bout des choses et en consommer tout le contenu  jusqu’à plus soif avant d’aller chercher de nouvelles idées. J’aimerais donc me pencher sur la totalité du cycle Clairières dans le ciel qui, je suis sûr me réserve encore bien des surprises.

Dans les mois à venir, quels sont vos principaux projets dans lesquels on peut vous retrouver ?

Je reprendrai le rôle de Don Ottavio dans Don Giovanni à l’Opéra Royal de Versailles à la fin du mois de janvier 2023 et je ferai ensuite mes débuts à l’Opéra Bastille en tant que Marcellus dans Hamlet d’Ambroise Thomas. A la fin de la saison je serai également Tybalt dans Roméo et Juliette de Gounod à l’Opéra de Rouen.

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